Les Français sont de plus en plus nombreux à émigrer et le phénomène s’est accru ces 10 dernières années. Parmi les destinations les plus prisées, le Canada figure en bonne place. D’après les derniers chiffres officiels publiés en 2013, on estime à 150.000 le nombre de Français installés dans ce pays. L’immense majorité d’entre eux optent pour la province du Québec, sans aucun doute pour des raisons de proximité historique et linguistique. Les Français représentent même le premier contingent d’immigrants temporaires au Québec. La belle province accueille chaque année quelque 60.000 expatriés temporaires, dont environ 20.000 Français.
Le Canada est souvent présenté comme une nouvelle terre promise pour les jeunes actifs ainsi que pour tous ceux qui veulent tirer un trait sur le climat économique et social morose qui règne en France. Profil type de l’immigrant français tenté par le rêve canadien ? Jeune (entre 25 et 40 ans), plutôt célibataire, davantage masculin que féminin, et avec un haut niveau de qualification professionnelle. Ce qui l’attire outre-Atlantique ? Un marché de l’emploi dynamique et flexible, les grands espaces, un cadre de vie agréable mais aussi la proximité des États-Unis.
Pourtant, rien n’est gagné d’avance pour le Français qui débarque à Montréal et qui vient grossir les rangs des 100.000 « frenchies » que compte la deuxième plus grande ville du Canada. Les obstacles à son intégration sont nombreux, et d’abord administratifs : pas facile d’obtenir le visa adéquat pour prolonger son séjour sur place, pas toujours évident de trouver un emploi et de faire reconnaître des diplômes et des expériences françaises dans une logique d’immigration professionnelle choisie très sélective, sans oublier l’énergie qu’il faut souvent déployer pour s’adapter à un mode de vie, à une culture différents.
Lorsqu’il décroche son poste d’informaticien au sein de la banque québécoise Desjardins fin 2015, David Vaast n’en croit pas ses oreilles. Depuis des mois, ce Francilien âgé de 46 ans cherche, avec sa compagne, un emploi outre-Atlantique, en vain. Ce précieux sésame, il le doit aux Journées Québec, événement organisé deux fois par an à Paris par les ministères de l’Immigration et du Travail québécois. Deux jours durant lesquels une trentaine d’employeurs québécois rencontrent des candidats au départ avec des centaines de postes à pourvoir à la clé. Depuis son installation à Lévis (commune limitrophe de la ville de Québec), avec femme et enfants en octobre 2016, l’informaticien ne déchante pas. « Nous avons une qualité de vie inégalée. Les Québécois sont accueillants et bienveillants. Nous terminons le travail vers 16h30. Je n’ai jamais passé autant de temps avec mes enfants », se réjouit-il.
Comme lui, chaque année, de plus en plus de Français succombent aux sirènes du Canada. « En 2015, près de 23.000 permis de travail temporaires ont été délivrés à des Français, dont environ 80 % au Québec. Des chiffres qui sont en constante augmentation », précise Louise Van Winkle, du service de l’immigration de l’ambassade du Canada en France. Entre grands espaces, cadre de vie accueillant, opportunités professionnelles foisonnantes et évolutions de carrière rapides, le Canada fait rêver. D’autant que l’immigration y est plus qu’encouragée ces dernières années. Pour bien des secteurs, elle est même devenue presque vitale.
Immigration presque vitale
Nicolas Clusiault est DRH de Momentum Technologies, entreprise qui chasse les talents aux États-Unis, en Amérique latine, mais aussi du côté français de l’Atlantique. Sur ses 140 salariés, aux 27 nationalités, cinq sont français : » Ce sont généralement des personnes avec de belles expertises et personnalités. De plus, étant basés au Québec, nous recherchons des gens qui maîtrisent le français. C’est donc un point qui les avantage. » Outre ceux de l’informatique, les métiers de l’industrie du jeu vidéo, des services financiers, de la construction, de la santé, de l’aérospatial, du transport routier ou encore de la machinerie sont particulièrement en tension. Pour attirer ces profils en pénurie, le gouvernement, mais aussi les provinces, déroulent le tapis rouge, n’hésitant pas à investir dans des opérations de communication et de recrutement d’envergure, comme les Journées Québec ou Destination Canada, à l’automne à Paris, et des partenariats notamment avec Pôle emploi (voir encadré en bas de page). Face à de gros pôles d’attraction tels que Québec et Montréal, certaines collectivités, comme la petite ville de Drummondville qui compte 100.000 habitants, vont plus loin en se dotant par exemple d’un service dédié à l’intégration des nouveaux arrivants de la recherche d’un hébergement à l’achat du véhicule en passant par l’aide à la recherche d’emploi pour le conjoint ou l’inscription des enfants à l’école.
Mais contrairement à une idée reçue, l’eldorado canadien n’a rien d’une promenade de santé pour les travailleurs français. Les procédures d’immigration sont non seulement multiples (permis de travail temporaire, résidence permanente, entrée express, certificat de sélection du Québec…), mais surtout très sélectives. « Ce sont des démarches administratives lourdes et longues, prévient Laurence Nadeau, cofondatrice du site d’information canadien Immigrer.com et auteure du guide S’installer et travailler au Québec (ed. Express). Pour la résidence permanente, comptez, par exemple, entre un à deux ans d’attente. Un conseil, ne partez pas avant d’avoir obtenu a minima votre visa de travail, à défaut d’un emploi. » Si Lucie Farbos, éducatrice de jeunes enfants à Montréal, a obtenu son visa « jeune professionnel » au bout de quatre mois, il a fallu trois tentatives à Céline Lecerf, une Lilloise de 28 ans, installée à Vancouver depuis fin 2016, pour décrocher son PVT – ou programme vacances travail -, qui permet aux 18-35 ans tirés au sort de travailler, étudier et/ou voyager durant deux ans dans le pays.
Professions réglementées
Une fois le précieux sésame décroché, rien n’est joué pour autant. Certaines professions – même parmi les plus recherchées telles que celle de médecin – sont très réglementées, et supposent souvent d’obtenir une certification, voire de repasser le diplôme adéquat avant d’exercer. « Raison pour laquelle il est important de mûrir son projet et de se renseigner en amont sur les perspectives d’emploi locales », conseille Laurence Nadeau.
Pour les candidats au départ, l’autre erreur est de se focaliser sur la seule expatriation au Québec. L’Alberta et son importante industrie pétrolière, l’Ontario, réputé pour son tissu industriel et ses services financiers, ou encore la Colombie-Britannique, poids lourd de l’agroalimentaire et de la foresterie, offrent aussi des perspectives professionnelles, pourtant sous-estimées. D’autant plus que le gouvernement y favorise désormais l’immigration des profils francophones pour les postes les plus recherchés. Seule condition pour tenter l’aventure sur ces territoires encore peu explorés par les Français: être bilingue.
Flexibilité du travail
Une fois installé, il faut s’acclimater aux codes du marché du travail. A 31 ans, Lisa Jeannet en veut pour preuve sa propre expérience. Depuis son arrivée en 2010, cette spécialiste du marketing digital, qui travaille à l’université de Calgary (Alberta), a changé sept fois d’entreprise en sept ans. Recherche d’emploi, chômage, licenciement, démission, syndicalisation… Elle raconte ses aventures sur son blog riche en anecdotes, French with Benefits: « Ici, changer de poste tous les six mois n’est pas du tout mal vu. Pour les licenciements ou les démissions, vous avez souvent un préavis de deux semaines, c’est très expéditif. A l’inverse, si votre profil plaît à un recruteur, vous pouvez commencer dès le lendemain. »
Outre cette flexibilité du travail, l’adaptation à la culture canadienne elle-même est décisive pour s’intégrer. » Le consensus est une religion au Canada, résume Eve Bettez, attachée au Bureau d’immigration du Québec à Paris. Il est très mal vu de se plaindre, d’émettre une critique sur le travail d’autrui, ou pire, de couper la parole à un collègue en réunion. Ce qui importe le plus à l’employeur après vos compétences n’est d’ailleurs pas votre diplôme, mais votre savoir-être. » Rémi Gauthier, directeur général de Soucy Rivalair, une PME québécoise spécialisée dans l’usinage, donne ce conseil sans équivoque: « Mieux vaut arriver ici avec humilité et ouverture d’esprit. » Avis aux Français, souvent réputés pour leur « brin d’arrogance » … (Source : Article de Marion Perroud pour Challenges)
BON A SAVOIR
Emploi Store, le tremplin à l’international de Pôle emploi
Destinée à tous les demandeurs d’emploi souhaitant s’engager dans un parcours de mobilité internationale, Pôle emploi a développé depuis juin 2016 une offre de services d’aide à la recherche d’emploi à l’étranger, via sa plateforme Emploi Store. Un site qui propose divers services online, des serious games aux tests de langues, en passant par des ateliers individuels. Mais pas seulement. « Parmi les demandeurs d’emploi désireux de s’expatrier, 6% portent leur intérêt sur le Canada. Pour les accompagner, nous avons monté une équipe dédiée, basée à Lyon, avec qui ils peuvent échanger via visioconférence notamment, souligne Annie Gauvin, directrice des affaires et relations internationales de Pôle emploi. Nous avons par ailleurs développé plusieurs partenariats avec les autorités canadiennes, en particulier pour des événements comme Journées Québec, Destination Canada et d’autres salons virtuels de recrutement. Les offres d’emploi locales sont par ailleurs désormais référencées sur le site de Pôle emploi. »